Delphine Arbo-Pariente. Ce nom que je voyais apparaitre sur l’écran avait une résonance familière. C’était en novembre dernier, j’étais connectée sur le compte Instagram de mon amie Cécile Ladjali quand je suis tombée sur un message de Delphine. C’est comme ça que tout a commencé.
Flash back. L’admiration c’est pour moi le carburant de l’amour et de l’amitié mais surtout du mouvement ascendant. Admirer, c’est rêver d’être aux côtés de ceux qui sont tout là-haut, un booster salutaire pour avancer sur un chemin escarpé.
Il y en a qui admirent la réussite sociale, le pouvoir ou la notoriété, d’autres les gourous du style, d’autres encore les champions. Mon mari par exemple, a mis sur la bibliothèque à coté de notre photo de mariage une photo de lui avec Federer, objet de sa dévotion tennistique, c’est dire… Moi, mes dieux de l’Olympe, ce sont les écrivains. J’aurais rêvé de poser sur une photo à coté de Jane Austen et George Sand, hélas, elles ne sont plus là.
Alors il y a 3 ans, quand je suis tombée sur Cécile Ladjali, écrivain, professeur de lettres et animatrice des rencontres littéraires En Chair et en Textes au théâtre de la Reine Blanche, je l’ai regardée avec les yeux de Chimène. Comme tous les intellos, Cécile a la phobie des réseaux sociaux. Je lui ai proposé de l’aider pour promouvoir ses rencontres littéraires sur Instagram, et là, c’est elle qui m’a pris pour un génie. Nous sommes devenues amies et moi sa community manager, le plus beau job de ma vie.
Dans ce message qui lui était destiné, Delphine disait qu’elle venait de sortir un livre chez Gallimard, elle se souvenait de leur rencontre passée et serait ravie de la revoir à l’occasion d’une signature. J’ai transmis, et là j’ai tilté. Il y a 15 ans, du temps où moi-même j’avais ma propre boutique de bijoux rue Charlot, une de mes consœurs, Delphine Pariente, avait la sienne juste à coté rue de Turenne. Depuis, sa marque a pris son envol sous le nom de Nouvel Amour .
Il y avait très peu d’images d’elle sur la toile, quasi rien sur Insta, juste un ou deux portraits récents pour la promo de son livre, son visage m’était totalement inconnu. Mon étonnement est monté d’un cran, depuis 15 ans, comment avais-je pu passer à coté d’elle ?
Une créatrice de bijoux qui réussit sans jamais se montrer, c’est une prouesse. Mais une fille qui sort un premier bouquin chez le plus prestigieux éditeur parisien, là c’est l’escalade de la face nord des Drus en hiver, ça s’appelle un exploit. J’en sais quelque chose, j’ai bien essayé, mais je me suis lamentablement rétamée. Les grandes Jorasses, c’est pas pour les alpinistes dilettantes, c’est pour les surdoués forcenés…
Je décide d’entrer dans cette partie de cache-cache et je cours acheter son roman, « Une Nuit après nous », que je dévore. Indéniablement, cette fille a des mots, du cran et du talent. Je suis impressionnée par son écriture qui à l’inverse de la mienne, transpose, dépasse et transgresse la réalité. J’écris pour révéler le réel en haute définition, Delphine, elle, la floute d’une dentelle de mots.
Après cette lecture, ma curiosité est à son comble, mais qui est donc Delphine Arbo-Pariente ? Je lui envoie un message, j’aimerais faire son portrait dans les Précieuses, Delphine dit oui.
La veille du jour J, Aaarrgh… Je m’aperçois que je n’ai plus le livre que j’ai prêté à Cécile. Qu’à cela ne tienne me répond-elle, pas cours le vendredi, je serai là demain ! Cet oubli est providentiel, rendez-vous chez Delphine Arbo-Pariente avec Cécile Ladjali, deux écrivains pour moi toute seule, ce n’est plus une interview pour les Précieuses c’est la Grande Librairie !
Le jour J, Delphine nous attend sur le pas de sa porte, les retrouvailles avec Cécile créent une joyeuse électricité. De longues volutes brunes autour d’un visage pétillant de grains de beauté, délicate, féminine, Delphine porte une jupe à volants vert printemps et un blazer noir brodé de strass. Son élégance rétro semble sortir tout droit d’un film de Louis Malle. La voix est enfantine mais la parole est sobre, Delphine Arbo-Pariente ne ressemble à personne, surtout pas à moi, ici encore, on est aux antipodes
L’immeuble où elle habite sent la cire et le Paris ancien, les escaliers de bois résonnent sous nos pas, comme le parquet de chêne clair de son immense entrée, ici tout est beau.
On passe furtivement une tête derrière chaque porte qui cache un écrin, on croise un mari charmant et une fille photocopie conforme, Delphine nous guide vers le fond dans un lumineux salon d’angle, une pièce qui comme le reste de l’appartement, semble ne jamais avoir connu de désordre. Je revois mentalement le mien que je viens de quitter à la hâte et je suis mortifiée, parce que chez moi à cette heure-là, c’est Beyrouth.
Nous nous installons dans ce décor parfait, face à un miroir ancien qui renvoie notre image et celle d’un beau tableau où deux adolescentes en maillot de bain nous toisent de cet air d’agacement indolent typique de leur âge.
Cécile demande si elle peut rester, évidemment ! Elle s’assied en tailleur sur le pas de la porte en spectatrice attentive. Elle est aujourd’hui notre trait d’union, je demande à Delphine de me raconter comment elles se sont rencontrées.
C’était il y a 15 ans dans sa première boutique de la rue de Charonne. A l’époque, elle créait des bijoux mais aussi des vêtements à partir de pièces vintages chinées et de gri-gris récupérés. Quand Cécile Ladjali entre avec son amie Véronique Ovaldé dans la jolie boutique-atelier, elles sont deux écrivains reconnues. A ce moment, Delphine écrit déjà, mais elle n’en parle pas :
«Les bijoux, c’est mon support d’expression depuis toujours. Il faut avoir du cran pour raconter une histoire. A l’époque, je n’étais pas prête à écrire, alors j’ai commencé en proposant à mes clientes de me raconter leur histoire avec de vieux bijoux qui trainaient dans leurs tiroirs. »
Le coup de foudre est réciproque. Cécile craque sur une jupe de satin violet brodée de strass qui bouscule son look rock et Delphine pour le duo littéraire qui vient de pousser la porte de sa boutique :
« Cécile Ladjali et Véronique Ovaldé dans ma boutique de la rue de Charonne, c’était une fierté incroyable pour moi. Mon action de faire des bijoux me permettait d’approcher des écrivains. Mais je ne me sentais pas légitime dans ce cercle. Il m’a fallu du temps, beaucoup de temps. »
Tu parles que ça me parle ! Cécile qui nous écoute intervient. Elle qui ne porte que du noir de la tête aux Doc Marteens, ne peut s’empêcher de s’exclamer : « Bien sûr, je l’ai gardée la jupe violette brodée, je l’aime trop, je n’ai jamais pu m’en séparer !
Delphine renchérit :
« J’aime bien cette idée que certains objets, bijoux ou vêtements ne soient pas importants par leur valeur mais parce qu’ils racontent notre histoire. C’est pour ça qu’on ne peut pas s’en défaire ! ».
Mais tout cela ne me dit pas comment elle en est arrivée à faire des bijoux, je suppose qu’elle a fait des études artistiques ? « Pas du tout ! Me répond-elle impassible, j’ai eu mon bac à 16 ans, et j’ai fait 5 ans de droit à la Sorbonne« . D’abord le droit, puis la création de mode et de bijoux, puis l’écriture, les images se superposent, Delphine a déjà eu plusieurs vies.
Elle m’explique que depuis toujours, elle travaille de ses mains. C’est son hobby, son moment de rêverie, son délassement. Elle brode des vêtements et enfile des perles comme moi je fais mon footing dans les bois, c’est son mode méditatif, son temps calme, son espace d’imagination. Et si un jour elle se lance et fait de son hobby un métier, rien de tout cela n’était prémédité :
« Je n’ai jamais eu l’idée de faire un commerce de cette intuition. Je ne peux pas faire autrement que faire ce que je fais, je n’ai pas d’objectif ».
Dans les années 2010, Delphine Pariente rencontre le succès, ses bijoux amulettes se vendent comme des petits pains, elle a ouvert une deuxième boutique, puis 3 puis 5. Pour une fille qui fait tout à l’instinct, sans formation, sans associé ni business plan, je trouve que son parcours est absolument stupéfiant. Je suis bien placée pour savoir que transformer une belle idée en en affaire profitable est une gageure.
Delphine réussit, mais le succès a un prix. En 2017, elle commence à se sentir fatiguée, les responsabilités étouffent la création, elle peine à respirer.
« Le commerce et la sensibilité sont deux choses qui ne font pas bon ménage » – me dit-elle dans un souffle.
Contre l’avis de tous, elle décide de changer le nom de sa marque éponyme, Delphine Pariente s’appellera désormais Nouvel Amour. Elle ne supporte plus la confusion entre son nom et sa marque, ni avec son célèbre homonyme, le fondateur de la marque Naf Naf, avec qui elle n’est pas du tout apparentée. En se réappropriant son nom, elle vient d’ouvrir une porte, mais vers quoi ? Elle ne le sait pas encore.
« C’était risqué mais je n’en pouvais plus de devoir toujours me justifier. En fait, c’était le premier pas vers le livre. Le sujet, c’était de retourner à mon intention de départ, une certaine forme de liberté ».
Se justifier de quoi ? De sa réussite ? De son nom ? De ses origines ? Je suis rattrapée par l’image de Mona, l’héroïne de son livre, rattrapée par son passé. Décidément, je suis en plein mirage, plus je m’approche plus l’image s’échappe, je navigue entre fiction et réalité…
Delphine poursuit son histoire. Non seulement elle débaptise sa marque alors qu’elle a le vent en poupe, mais se déleste peu à peu de ses boutiques pour n’en garder qu’une seule, sa préférée, la belle boutique atelier de la Rue des Filles du Calvaire. Je ne peux m’empêcher de l’interrompre, après tant d’énergie déployée, après tant de difficultés surmontées, pourquoi tout bazarder ?
« Ce qui m’intéressait, c’était d’approcher les clients, de les écouter, de raconter leur histoire, j’étais presque embarrassée de leur prendre de l’argent. En fait, c’est l’idée du commerce qui me gêne. »
Ok, je suis de nouveau en terrain connu. L’obsession de la liberté, le syndrome de l’argent c’est mal, la création de bijou préambule à la création littéraire, oui, je suis aussi passée par là. En trois ans, Delphine s’allège de tout, elle range, trie, jette, ressort ses cahiers des tiroirs.
Mais pour autant, elle ne renie pas son gagne-pain, elle continue de vendre ses bijoux, la marque Nouvel Amour poursuit tranquillement son chemin, mais un certain refrain ne la lâche plus :
« Je commence à écrire en 2019. Je parlais toute seule. Je parlais seule dans ma salle de bain, je parlais seule en marchant dans la rue, j’entendais des mots ».
Le premier confinement tombe à pic, il vient pulvériser cette schizophrénie débutante. En mars 2020, Delphine ferme boutique et s’enferme dans son bureau pour écrire. Plus aucune excuse ! Si elle ne le fait pas maintenant, elle ne sera jamais écrivain. Je me suis dit exactement la même chose, mais entre mon évier et ma machine à laver, je ne suis pas allée bien loin !
Interdiction de la déranger, de faire du bruit, de lui parler. Je vois bien aussi, j’ai failli me faire larguer par mari et enfants à cause de mon premier bouquin… Mais le résultat est là, cinquante pages qui racontent le début d’une histoire renversante. Dans les affres torturantes du doute et de la confiance, elle envoie ce premier manuscrit à Gallimard. Elle a eu raison d’y croire, c’est oui pour le livre.
Le livre sort en septembre 2021, les marques d’estime lui arrivent de partout, de lecteurs lambda, mais aussi d’auteurs très connus. Delphine est toujours là où on ne l’attend pas, elle vient de faire une entrée remarquée dans ce cercle tant convoité des écrivains. Je lui dis que moi ce que j’ai aimé dans son livre, c’est cette poésie qui emporte la dureté de l’histoire.
« J’ai voulu chercher quelque chose qui est de l’ordre de la lumière dans un tunnel. Un tunnel c’est sombre, c’est ténébreux. Pour en sortir, il faut être éclairé par la beauté des mots, par la beauté du rythme, par la poésie. Sinon c’est sinistre, c’est comme dans la vie…»
Là c’est moi dans le tunnel, c’est plus fort que moi, je lui pose la question : cette histoire qu’elle raconte dans son livre, elle l’a en elle depuis toujours, n’est-ce pas ? Silence. Suivi de :
« Oui, mais sans le savoir. Toute ma vie, j’ai vécu des réminiscences, mais je ne les ai comprises qu’en écrivant ce livre ».
Je tâtonne, je pérégrine, l’image reste floue, mon enquête piétine…. Comme si elle devinait ma confusion, Delphine précise :
«Avant, quand on me demandait d’où je venais, j’avais la voix qui tremblait d’émotion. Aujourd’hui, je peux répondre tranquillement. Écrire ce livre m’a permis de comprendre qu’on n’est pas responsable d’où l’on vient. Après on fait de nos vies ce qu’on veut… »
Je saisis la perche illico. – Et toi alors, tu viens d’où ?
« Moi j’ai grandi à Bondy, je suis arrivée à Paris vers 12 ans. Je viens d’une banlieue HLM, j’ai connu Paris assez tard. C’est pour ça que dans mon livre je parle d’audace sociale, comme je parle aussi de l’exil. Les grands parents sont des juifs séfarades qui sont partis sans rien de Tunisie, un pays où je n’ai jamais mis les pieds ».
Pour la première fois, Delphine me parle de son enfance. Cette manière d’être aux autres avec élégance coute que coute, cet attachement aux vêtements et bijoux d’autrefois qu’on ne peut pas quittr, elle les tient de sa grand-mère exilée de Tunisie, ce pays qu’elle ne connait pas. Et quand elle me dit tout ça, ce qu’elle ne sait pas, c’est qu’elle me parle aussi de moi et de ma grand-mère d’Algérie. Le mirage s’évanouit pour laisser place à une Delphine réelle, limpide, tangible, une fille qui en écrivant un roman s’est déchargée des fardeaux du passé.
Quand je lui demande si le travail d’écriture a été dur, elle me répond d’un trait :
« Ce n’est pas la difficulté qui m’arrêterait, c’est plutôt l’exaltation. Et écrire, c’est plus exaltant que tout le reste… »
Oui, rien n’est dur quand on fait les choses par passion, on est porté par le souffle. Je la félicite pour tous ses succès, sincèrement, je suis bluffée. Des bijoux poétiques, une marque établie qui garde sa connivence avec ses clients, un livre bouleversant… Delphine transforme en or tout ce qu’elle touche ! A-t-elle jamais douté ?
« La solution au doute, et c’est vrai dans l’écriture comme dans la création de bijoux, c’est de vérifier sa position, d’être toujours en face de soi-même, d’avoir les deux images en concordance. Échouer ou réussir finalement, ce n’est que le pendant. »
La perle de notre entretien se niche dans cette phrase qui raisonne encore à mes oreilles. Qu’on soit avocat, créateur de bijoux, entrepreneur, écrivain, professeur, peu importe… La clé de tout, c’est l’acuité du regard qu’on pose sur soi-même, le reste on s’en fout.
Nous avons déménagé dans sa chambre qui est aussi son bureau là où elle écrit, nous voilà de retour dans la réalité. On fait des photos, j’essaye un collier et son manteau noir brodé, je rêve sur ses tableaux charmants, j’admire les photos de ses filles et les innombrables gri-gris qui peuplent ses boites à souvenirs.
Cécile aussi a posé avec les médailles de Delphine, elle doit filer, ses cours vont bientôt commencer. Je demande à ma complice photographe d’immortaliser cet instant, je crane, enfin sur la photo avec deux écrivains !
Je demande à Delphine un autographe pour mon livre et je lance mon dernier pavé dans la mare : et maintenant ? Le crayon en suspens, toujours grave, Delphine me répond :
« Je n’en n’ai pas encore fini avec cette histoire, je ne sais pas si je raconte quelque chose de très fictionnel ou quelque chose de très personnel ! »
J’éclate de rire – Tu parles des bijoux ou de ton livre ?
Les deux ! Me répond-elle en souriant. Au moins là, c’est clair, contrairement à moi, Delphine ne fera jamais le choix entre réalité et fiction.
Belle histoire, qui nous rappelle que nous naissons peut-être de plusieurs pays, inscrits dans la mémoire de nos chairs, et donnons jour à, pourquoi pas, plusieurs vies…
Ca sent le soleil. Merci Sylvie
bonjour Sylvie , d’ou viennent ces magnifiques bijoux svp et surtout le bracelet? ils ne sont pas sur le site de Delphine. et le collier que vous portez dans le portrait de Nadia est dingue aussi !
merci beaucoup
Merci Zeineb ! Les bijoux que je montre dans le portrait de Delphine Pariente sont ses premières créations réalisées à partir d’objets collectés dans les tiroirs de ses clientes ou chines. Il faut appeler à sa boutique ou lui envoyer un message pour savoir si elle fait encore ce type de bijou sur mesure.
Quand au collier cravate que je porte dans le reportante sur Nadia, il est de Marie Laure Chamorel qui fait aussi des bijoux sublimes !
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