La joaillerie solaire de Salomé Rico

J’ai rencontré Salomé Rico un beau jour de septembre, dans sa jolie maison de Montreuil aux couleurs d’un Riad marocain, autant dire il y a un siècle. Un flashback salutaire dans l’été indien en ce weekend de Toussaint gris-bouille.

Entre temps j’ai bouclé un cycle, ce qui m’a pris du temps. J’ai écrit la biographie d’une étoile du grand monde. Je me suis régalée, j’adore jouer les Colombos pour enquêter sur le parcours de personnalités d’exception. Apporter une note romanesque à un personnage réel c’est mon kif, c’est ce qui me donne l’impression de vivre d’autres vies que la mienne, un privilège qui vaut mille fois ce temps passé à écrire.

Ce qui se termine est nécessaire à la naissance de quelque chose de nouveau, dixit Rose, ma prof de Yoga à laquelle j’ai confié depuis peu le salut de mon corps et de mon esprit. Je me réjouis donc d’attaquer la novembrite avec Salomé, créatrice de bijoux pétillante à l’énergie solaire.

Tout dans l’univers de Salomé avait attiré mon attention. En premier lieu son prénom mythique qui la prédestine à une passion immodérée pour les bijoux, la Salomé Dansant de la bible et de Gustave Moreau, c’est quand même un atavisme un peu plus classe que la Sylvie Vartan au blond platine des années yéyé, ou la Sylvie Jolie à la gouaille de poissonnière des années 70, merci papa-merci maman…

Sur son Instagram, j’avais aussi été séduite par sa blondeur juvénile, ses grigris colorés, ses associations audacieuses de pierre fines et précieuses, son univers de couleurs chatoyantes, et les détails raffinés de ses créations qui font référence au savoir-faire unique de la joaillerie française.Quand je suis arrivée chez elle après les soixante minutes de métro qui séparent la porte d’Auteuil, quartier des bourgeois-coincés, de la mairie de Montreuil, fief des bourgeois-bohème, j’ai été accueillie par une Salomé moderne. Jean délavé et chemise over-sized assortis à ses grands yeux bleus, escarpins Chanel dernier cri, longs cheveux blonds sauvages et visage nude sans une once de maquillage, la princesse de Gustave Moreau s’était réincarnée en une jeune femme ravissante à l’élégance désinvolte. La  seule référence à son avatar mythique est l’accumulation de bijoux précieux qu’elle porte en profusion joyeuse à son cou, ses mains et ses poignets.Salomé nous a accueillies, ma photographe Delphine et moi sur sa jolie terrasse, après nous avoir fait visiter sa maison au pas de charge en nous expliquant ses choix décoratifs. Sa palette de couleurs puise dans le raffinement des jardins de Majorelle, des touches de bleu Klein, vert émeraude et rouge brique dans une ambiance baignée de lumière dorée. Delphine et moi avons poussé des Ohhh et des Ahhh enthousiasmés, la maison de Salomé est un petit bijou, à l’image de ses créations.Son histoire qu’elle me raconte de son débit pressé est celui d’une petit fille subjuguée par l’élégance de ses deux grand-mères.

« J’ai encore leur image dans ma tête, avec leurs coiffures compliquées qui sentaient la laque, leurs broches, leurs manteaux, leurs accessoires mais surtout, leurs bijoux ! Les grand-mères portent plein de bijoux ! »

Et voilà Salomé qui m’explique avec passion qu’elle a passé son enfance dans les jupes de sa grand-mère maternelle qui la couvrait de bijoux, des colliers de perles piqués dans la cassette de l’aïeule aux innombrables verroteries glanées dans les tirettes à cent balles. A ce souvenir, Salomé s’anime, elle rit de se revoir couverte de bijoux, déguisée en Castafiore pour ses anniversaires, parce que c’est dans ces moments merveilleux de l’enfance que la magie du bijou est entrée en elle.

– Pour moi, s’exclame-t-elle, un bijou c’est quelque chose d’exceptionnel ! ça traverse le temps, ça se transmet, ça dit quelque chose de toi, de qui tu es. Et puis c’est la trace d’un moment sentimental, une émotion !

Salomé a trouvé sa vocation, mais elle a les pieds sur terre. Pragmatique, elle fait une école de commerce, avec l’idée de rentrer dans les grandes maisons de joaillerie par la porte du développement marketing plutôt que par l’expertise des pierres ou de l’artisanat joaillier.Toute jeune, elle fait un premier boulot de conseillère de vente chez Beaumont & Finet, la plus belle bijouterie de Lyon, ce qui lui ouvre les portes d’un stage au département marketing de la joaillerie Louis Vuitton.

Elle y apprend le métier de chef de produit, découvre le faste des évènements organisés pour la clientèle VIP et elle se frotte au régime aristocratique du management LVMH. Dans ce temple du luxe, on ne mélange pas les serviettes et les torchons, les jeunes stagiaires sont là pour apprendre et trimer à la dure, pas pour donner leur avis. Après cette expérience prestigieuse, elle est embauchée au marketing de Poiray.

La maison de joaillerie fétiche des années 80 a du mal à renouer avec son âge d’or, la clientèle a vieilli, il n’y a plus que les grand-mères pour  acheter la montre au bracelet interchangeable et le célèbre cœur d’or entrelacé. Aurélie Biderman, alors créatrice de bijoux très en vogue grâce au succès de sa marque éponyme a été reprise par l’investisseur de Poiray dans l’idée de dépoussiérer l’image désuète de la vieille demoiselle. Salomé comprend là que les oukases de rentabilité des financiers ne font pas bon ménage avec la créativité dispendieuse d’une hit girl parisienne. Mais elle se découvre un goût pour la tradition joaillière des godrons, pour la taille rebondie melon-cut et elle se laisse emporter par le vent de liberté créative qui l’espace d’une année, rafraichit l’esprit de la maison.C’est à ce moment qu’elle est recrutée au développement produit chez Cartier. Elle est justement choisie pour sa jeunesse et son imagination, le fleuron du groupe Suisse Richmond aime constituer des équipes pluridisciplinaires. Dans la plus grande maison de la place Vendôme, Salomé découvre la rigueur sans concession de la qualité Suisse, la technicité millimétrée des ateliers, et la vocation du Timeless, inverse aux phénomènes de mode. Elle se passionne pour les associations audacieuses de pierres de couleur, les sertis inversés, la versatilité des pièces de haute joaillerie. Le célèbre bestiaire de la marque, notamment la Panthère imaginée par Jeanne Toussaint, immense créatrice de joaillerie du XXème siècle et maitresse de Louis, l’héritier des Cartier, va marquer son esprit, au point qu’elle aura envie de créer le sien.

Elle se marie alors qu’elle est encore chez Cartier, son fiancé lui a offert le bracelet Love dont elle rêve depuis toujours. Elle me le montre fièrement, il fait partie de sa collection de poignet, au milieu de deux autres bracelets iconiques, les trèfles de Van Cleef et le T de Tiffany mixé à ses propres créations. J’ai rarement vu autant de belles pièces portées en même temps. Elle rit et m’explique qu’elle  porte tout, mélange tout c’est son truc à elle.« Si tu veux me voler, il faut me kidnapper ! Par contre pas de vernis à ongle et pas de maquillage, j’ai choisi les bijoux et les vêtement colorés, ça suffit non ? »

Je lui fait remarquer que beaucoup de créatrices talentueuses de sa génération ont succombé à ce même bijou fantasmatique. Je vois le bracelet love partout au poignet des jeunes parisiennes branchées. Elle se défend, chez elle, cette passion est ancienne :

« Depuis que je suis toute petite, en vrai, je rêve d’avoir le Love ! Parce qu’il est scellé par une petite clé détenue par ton amoureux, tu ne peux pas l’enlever, c’est ça la puissance du Story telling dans la joaillerie !!! » s’enthousiasme-t-elle.

Elle est depuis trois ans chez Cartier, mais alors qu’elle aurait pu choisir une bague de fiançailles dans les classiques de la grande maison, sa créativité se débride et elle dessine son propre modèle en puisant dans tout ce qu’elle aime : la grande tradition joaillière, l’air du temps, et les mélanges de couleurs audacieux.Le résultat est cette ravissante bague d’inspiration art déco qu’elle porte à sa main. En or blanc, ornée d’un diamant central taille émeraude serti grains et de deux rangs d’émeraudes et de turquoises taillées en baguettes, sa création rencontre un succès immédiat. Quand des amies lui commandent à leur tour leur bague de fiançailles, elle décide de quitter Cartier. Le premier chapitre de sa vie professionnelle se ferme pour ouvrir celui de Salomé Rico Paris, sa nouvelle marque de joaillerie qui verra le jour en pleine crise du Covid.Le mari de Salomé entre dans le salon, nous salue et repart dans sa tanière, le jeune couple s’est mis à l’heure du télétravail, chacun son bureau. Celui de Salomé est au rez-de-chaussée, c’est là qu’elle reçoit ses clientes, qu’elle imagine ses bijoux et qu’elle fait ses réunions sur zoom avec l’atelier parisien qui réalise toutes ses créations. Elle travaille avec le meilleur, un atelier réputé qui aujourd’hui se partage entre la sous-traitance pour les grandes maisons de la place Vendôme et une poignée de jeunes créatrices talentueuses comme Salomé qui revendiquent le savoir-faire joaillier français tout en le poussant dans de nouvelles voies créatives. Elle se rappelle en souriant que ses première idées les ont littéralement effarés.

« Une bague de fiançailles qui mélange diamants, émeraudes et turquoises, mais tu n’y pense pas ! m’ont-ils dit, tu vas t’en lasser ! »

Pas du tout ! a répondu Salomé. Et elle a vu juste. La couleur, c’est justement ce qui signe ses bijoux. C’est parce qu’elle ose l’intégrer dans un style de facture classique qu’elle réussit à en faire une création qui combine le charme de l’ancien et la fraicheur de la nouveauté.

La marque Salomé Rico a à peine un an qu’elle est déjà au Printemps et chez Birdy, ses bijoux font leur chemin chez les découvreuses de trésors, celles dont l’œil exercé sait reconnaitre dans ce cycle de l’éternel retour, les succès à venir de la joaillerie parisienne.

A la demande de Delphine qui veut immortaliser les bijoux de Salomé dans les différents tonalités de couleurs de sa maison, nous nous déplaçons d’une pièce à l’autre. J’essaye tout pendant que Salomé m’explique l’intention créative de chaque pièce.Je craque sur le vert du jade, le bleu de la turquoise, l’orange du corail et le noir de l’onyx, je veux tous ses Polpos, grigris mobiles qui dansent sur une chaine à porter en collier ou bracelet. J’adore la rondeur de ses bagues Gelato, des gourmandises en or jaune à godrons ornés d’une pierre fine melon-cut. J’aime beaucoup sa médaille de famille siglée dans un soleil et serti d’une turquoise et sa gourmette gravée d’un serpent. Et je craque total sur ses bagues de petit doigt en forme d’ourson, éléphant, ou serpent, bestioles qu’elle a imaginée pour amuser son fils en hommage à Jeanne Toussaint, maitresse incontesté dans l’art des bestiaires joailliers.Les chaines sont cossues, les fermoirs élégants, l’or est plein, Salomé ne travaille pas dans un esprit de rentabilité, elle aime la vraie joaillerie, celle qui se garde, qui ne se démode pas, celle que portaient ses grand-mères et qu’elle revisite avec ce twist espiègle qui attise la gourmandise et donne envie de tout mélanger.

La dernière photo de nous deux est un gag. J’ai l’air d’une éléphante qui serait montée sur un tabouret à coté d’une gazelle. Ou d’une grande gigue qui s’appelle Sylvie à coté d’une princesse gracile qui s’appelle Salomé.La prédestination des prénoms nous poursuit, une génération nous sépare, mais la magie des bijoux nous rapproche, le nouveau cycle a déjà commencé !

Photos Delphine Joueandeau

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6 réflexions sur “La joaillerie solaire de Salomé Rico

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