Les petites nouvelles 2/4

Retour sur ma journée découverte de nouveaux talents du vendredi 16 octobre, avec un retard certain, l’annonce du confinement saison 2 et un déménagement à boucler de toute urgence ont enrayé mon système.

Je reprends mon parcours où je l’ai donc laissé, dans une ravissante cour pavée de la rue des Tournelles, une des plus jolies du Marais. C’est là où vers midi, j’ai manqué de me retrouver le cul par terre, les talons ne font pas bon ménage avec les pavages du 17ème siècle.

Mais je leur pardonne volontiers, aux pavés, parce que je vénère l’ancien, tout ce qui a traversé les âges se couvre d’une patine à laquelle je donne une valeur prodigieuse. Finalement, ce qui est vieux est beau, à part chez l’humain (et surtout l’humaine) où tout fout le camps avec le temps, mais c’est une autre histoire… J’aime les vieux objets, les vieilles maisons, les vieilles pierres, les vieux arbres, les vieilles bagnoles, les vieux tableaux, et évidemment les vieux livres, ils exhalent l’odeur d’autres temps, ils sont la trace de la petite histoire dans la grande, et c’est cette trace qui me touche.

Les deux filles que je vais voir ont cette même passion. Elisa et Camille  les créatrices de la marque Par Cœur sont des amies d’enfance, à 5 ans, elles barbotaient sur les plages du Portugal, la photo en noir et blanc de deux jolies blondinettes sur leur site Par Cœur en atteste. Leur amitié de longue date et leur passion pour les bijoux et les arts décoratifs les ont menées naturellement à ce projet de création de leur marque de bijoux, après une première vie professionnelle riche et complémentaire.

Quand j’arrive ce vendredi dans leur charmant petit atelier show-room, j’ai l’impression de déjà les connaitre. J’ai lorgné en juillet sur leur ravissante médaille laurier chez Muriel Piaser (la créatrice de l’évènement Precious Room) et sur Camille Riboud (la directrice des boutiques Victoire) il y a un mois, et j’en suis dingue.

Nous nous sommes installées autour d’une petite table ronde dans la pièce baignée de lumière, Delphine a commencé à nous mitrailler gentiment, et Elisa s’est lancée dans le récit de la genèse de la marque, en s’excusant avec une touchante modestie qu’elle raconte moins bien que Camille parce qu’elle est plutôt l’artiste du binôme et Camille la communicante.

Je leur fais la remarque ce que c’est très positif cette complémentarité dûment assumée, j’ai vu tellement de binômes s’étriper à mort quelques temps après le lancement de leur marque, le succès est difficile à partager quand les positionnements des fondateurs se piétinent l’un l’autre.

Là c’est très clair. Elisa m’explique qu’elle a fait les arts déco, elle a toujours dessiné ses propres bijoux, et qu’après une première expérience chez l’architecte India Mahdavi, elle a monté sa propre agence d’architecte d’intérieur. Toujours curieuse, elle a suivi plusieurs formations techniques pour apprendre à fabriquer elle-même des bijoux. Ce qu’elle aime avant tout, c’est chiner des médailles ou des monnaies antiques, dessiner elle-même ses modèles à partir de cette inspiration, prendre son maillet pour marteler le métal, et appliquer à la main ses poinçons, parce qu’elle dit que c’est dans cette histoire de travail manuel que se niche l’âme des bijoux Par Cœur, le charme de l’ancien.

De son coté, Camille me parle de son parcours, dans la finance d’abord puis à l’IFM (Institut Français de la Mode), puis de sa première expérience professionnelle chez Jerôme Dreyfuss où elle a tout appris du retail et de la partie business des accessoires de mode. Quand Elisa dessine et se noircit les mains sur l’atelier, Camille prospecte, communique, organise, vend et planifie, elles font tout ensemble mais chacune a son territoire bien défini, et cette complémentarité les sert à merveille. Elles existent depuis deux ans et ont conquis un certain nombre de jolies boutiques de créateurs, dont Birdy dont je reparlerai bientôt.

Comme d’habitude mon interview vire à un joyeux ping-pong de questions-réponses, d’essayage de leurs bijoux, notamment de leurs joncs en vermeil martelés par Elisa. Je passe aussi en revue leurs médailles dont les inspirations sont multiples, de la monnaie anciennes, des lieux ensoleillées ou elles ont aimé passer des vacances ou des portes bonheurs aux symboliques diverses dont le point commun reste la beauté des détails.

Quand je leur demande comment elles font pour obtenir cet esprit antique sur chacune de leurs pièces, elle rigolent en me disant que c’est là leur secret de fabrication. En même temps, je les sens ravie de constater que j’ai capté ce qui constitue leur singularité, l’amour d’un artisanat ancien, rare et minutieux. Camille va chercher un cylindre en acier qu’elle pose sur la table et me dit :

« Il est là notre secret, c’est parce qu’on dessine nous-même tous nos motifs et qu’on créé à chaque modèle la matrice qui lui correspond qu’on arrive à faire des médailles comme autrefois avec la technique de l’estampe, pas des médailles sans aspérité qui trahissent une production industrielle. »

Je suis fascinée par l’objet. C’est lourd comme un poids pour faire de la gym, et le dessin apparait, gravé sur le bord haut du cylindre. Elles rigolent de nouveau à me voir retourner ce truc comme si il avait le pouvoir de créer par magie leur médailles. Je suis obligée d’avouer, non décidément je ne comprends pas comment ça marche !

Ok dit Camille, on va te montrer. Elle dégaine son Iphone, et me montre une vidéo : un monsieur extrêmement costaud, un ferronnier m’expliquent-elles, se tient devant une énorme presse. Tel un lanceur de poids, on le voit préparer son geste, prendre son élan, et enfin donner le coup de presse magistral qui va imprimer la matrice sur la plaque d’argent. A chaque médaille, le ferronnier répète cette chorégraphie d’une incroyable précision compte tenu de la force qu’il déploie. Je suis sans voix. C’est absolument l’inverse d’un geste automatique dans une chaine de production, sans doute le même geste que faisait ses ancêtres ferronniers il y a plusieurs siècles pour frapper les monnaies, c’est anachronique et fabuleux. Mais comment ont- elles trouvé ça ? Elles sourient, et me répondent en cœur :

« On a galéré, on a cherché, on a même sillonné tous les garages de la région parisienne qui ont des presses, et puis finalement on est tombées sur cet artisan qui a travaillé sur le chantier de l’Hermione, à Rochefort. »  

Le chantier de l’Hermione ? Je sèche de nouveau.  Oui, m’explique Camille, ce chantier de reconstruction à l’identique de la frégate construite à l’origine en 1778 à Rochefort, et sur laquelle Lafayette embarqua en 1780 pour l’Amérique pour prêter main fort aux insurgés. Evidemment.

Il est là le secret de Par Cœur. Une recette très ancienne revisitée par deux filles d’aujourd’hui, le sens du détail, la passion pour tout ce qui est fait à la main, pour un artisanat ancestral et pour un style de bijoux d’autrefois qui se portent avec bonheur aujourd’hui, parce que 2020, en dehors d’être l’année pourrie du covid, c’est aussi l’année des chaines et des médailles anciennes qu’on a envie de porter tous les jours comme autant de talismans bienfaisants.

Merci à Camille et Elisa pour leur accueil chaleureux, je suis repartie toute guillerette avec leur sublime double chaine au fermoir à l’ancienne au cou que je ne quitte plus…

Que dire de plus ? Les bijoux de Par Cœur sont en vermeil, de l’argent massif sur-lequel on dépose une couche de 5 microns d’or. C’est du précieux sans être au prix de l’or, je vous le dis, que du bonheur !

Photos Delphine Jouandeau

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