Nadia Azoug, c’était ma voisine de la rue Charlot, cette jolie rue du haut-Marais de Paris qu’elle appelle la rue Gama. Si vous êtes de la génération Culture Pub, vous connaissez forcément la rue Gama, sinon suivez le guide, la visite c’est par là !
La rue Gama c’est la rue fantasmée de toutes les villes de France, la rue où l’on se love comme dans une grande famille, où on envoie la bise à son voisin en ouvrant ses volets le matin, où on vit, aime, travaille et danse au son de l’accordéon. Son boucher et son garagiste tout tachés, leur épouse épanouie au premier étage qui lance les machines en chantant, la jolie blonde qui danse dans sa robe blanche immaculée… c’était la rue Charlot à Paris il y a 15 ans, et encore un peu aujourd’hui.
C’est là que Nadia a ouvert sa jolie boutique-atelier en 2009, peu ou prou au moment où moi-même je quittais la mienne presque en face… C’est dire si en ce début d’année, le chemin me ramène dans des lieux familiers. La marque de joaillerie fine Monsieur est née rue Charlot, a grandi rue Charlot et s’est ancrée rue Charlot ; Et cette unicité de lieu, cette simplicité revendiquée et cette authenticité évidente, c’est sa signature. Parce que Monsieur est à l’image de sa fondatrice Nadia, une marque de joaillerie accessible, simple, authentique, éthique, locale, artisanale et surtout, hyper attachante. Quand son bras droit Coralie m’a contactée pour venir découvrir la nouvelle décoration de la boutique rue Charlot, j’ai répondu présente illico.
Un peu comme Delphine Pariente il y a un mois, je n’avais jamais rencontré Nadia Azoug auparavant. Avec Nadia c’est encore plus dingo parce qu’on vient du même bled ou presque, elle est de Bejaïa et moi de Tizi Ouzou, et si ça ne vous dit rien c’est normal, mais pour nous ça dit tout, on est de Kabylie. Deux Kabyles qui se rencontrent, même au bout du monde, c’est les deux doigts de la main enfin réunis, ça fait des étincelles, ça se hug mais surtout ça rigole, parce que la Kabylie c’est comme la rue Gama, on est tous cousins et la dérision est notre blason !
A peine arrivée dans son beau showroom en laiton doré à deux pas de sa boutique, on s’est raconté notre Kabylie, natale pour elle, éternelle pour moi. En même temps, Azoug et Arkoun ça ne trompe pas, sauf pour ceux qui croient qu’on vient d’un autre peuple la Méditerranée mais là aussi on s’est marrées, parce que comme l’Olivier, on est de bon cœur de toutes les rives de la grande bleue.
A peine a-t-elle commencé à me parler de sa Reum avec son accent Kabyle que j’ai fondu comme un loukoum, je lui ai parlé de mon Daron et elle du sien, et là c’était parti pour une grande séquence de spéléologie généalogique.
Pour comprendre le rapport père-fille en Kabylie il faut écouter la chanson « Lettre à ma fille » d’Idir, c’est une histoire un peu folle que j’ai racontée dans mon livre « Les vies de Mohammed Arkoun » et que Nadia raconte tous les jours en faisant des bijoux avec ses artisans. Les Kabyles appartiennent au peuple Amazigh qu’on appelle les Berbères, c’est le peuple ancestral de l’Afrique du Nord, de l’Égypte au Maroc, et on n’est pas peu fiers, parce qu’on était déjà là au temps des romains. Alors autant dire que de Saint-Augustin à Charles de Foucault, de l’Emir Abdelkader au général De Gaulle, des Omeyyades à l’Empire Ottoman, De Barberousse à Bouteflika, des Soufis aux Frères Musulmans, les Kabyles ont vu défiler plusieurs mondes avec leur œil narquois, mais ils sont restés là accrochés à leur terre et à leurs traditions d’antan, fiers, impertinents, tout-terrain et libres comme des enfants rebelles.
Chez Nadia ça donne une personnalité pétillante de drôlerie, une fille curieuse qui ne se prend pas au sérieux mais qui comme ses artisans, fait tout sérieusement. De Bejaïa à Ménilmontant jusqu’à la rue Charlot, elle a mené sa barque au gré des rencontres et des opportunités, et la marque Monsieur est l’expression de cet attachement intime à tous les objets façonnés à la main. Je lui ai demandé de se prêter au jeu de ma nouvelle rubrique portrait « Raconte moi ! », ce qu’elle a fait avec entrain, parce que le kiff des Kabyles, c’est de raconter des histoires en pleurant… de rire évidemment.
Au commencement ?
« Si j’aime depuis toujours les bijoux ? Ahahah ! Nan, pas vraiment ! Je n’en porte pas souvent mais j’adore l’émotion qui s’en dégage ! ».
D’ailleurs ce jour- là, elle porte juste la médaille de sa mère et sinon, les trucs un peu ratés qu’elle a sauvés du recyclage parce que pour elle, tout ce qui a pris forme sur l’établi grâce à la virtuosité des mains de l’artisan c’est toujours touchant.
Et elle ajoute :
« J’aime bien les accidents, les couacs, les erreurs, les rencontres, les opportunités, le hasard, parce que mon parcours, c’est que ça ! »
Voilà Nadia, dans cette phrase tout est dit. Elle est arrivée au bijou par hasard et par amour pour l’artisanat et cette humilité affichée a un charme foudroyant.
Nadia a fait ses classes au lycée Voltaire puis des études de socio parce qu’elle aime bien observer, et puis elle s’est laissée embringuer dans la DRH d’une grande marque de spiritueux, un métier sérieux dans un premier temps mais pas du tout pour elle. Puis elle a monté un bar dans le 11ème avec son ex amoureux, c’est dire sa conception singulière de la notion de carrière. Mais là elle a fait de l’observation in vivo, et s’est en écoutant les clients et en servant des coups qu’elle a rencontré Franky.
La marque Monsieur est née dans les mains de cet artisan joaillier surdoué qui travaillait pour d’autres et dont le talent a captivé Nadia. Après, tout s’est enchainé, elle a trouvé sa boutique-atelier rue Charlot et elle a fondé sa marque sur l’économie, avec peu de stock et tout à portée de main. De Mony la vendeuse de pierres au fondeur en passant par le doreur, elle ne travaille qu’avec les artisans du quartier.
Une parution dans le Elle sur Marion Cotillard et la visite impromptue d’une ribambelle de belles égéries, de Sandrine Kiberlain à Kate Berry en passant par Inès de la Fressange font démarrer la marque en fanfare. En 6 mois, le coup est parti, mais Franky a eu peur du succès, il est parti aussi… Mektoub : c’est écrit ! Nadia de nouveau toute seule croise le chemin d’autres artisans, la vocation de la marque Monsieur est là, dans ces rencontres et le travail galvanisant de l’atelier qui stimule son imaginaire :
« Je n’ai pas envie de me définir comme une créatrice. Moi ce qui me fascine c’est l’artisanat, c’est la magie de ce qu’il se passe à l’atelier ».
Ta première création ?
« La bague Queen ! »
Cette bague qui m’a tout de suite tapé dans l’œil est un anneau fin composé de pastilles d’or posées les unes à cotés des autres dans un joli mouvement aléatoire.
Mais en réalité, la première création de Nadia, c’est sa boutique rue Charlot, une ravissante échoppe où la vitrine magnifie les bijoux posés sur un moucharabieh géométrique doré qui laisse apparaitre au fond le geste de l’artisan penché sur son établi.
Quand je passais devant à l’époque, je m’arrêtais toujours pour admirer cette grille ouvragée aussi belle qu’un bijou, elle était la signature de la marque, elle l’est toujours aujourd’hui. Imaginée par Nadia et réalisée par l’atelier Bruce Cecere, , c’est ce qui fait la singularité de la marque, elle parle d’un lieu unique et vivant, un lieu où l’on fabrique sur place ce que l’on vend.
Son échoppe est devenue une pépite avec son petit salon tapissé de tadelakt vert profond et ses vitrines anciennes posées sur des comptoirs dorés fabriqués par Yszé, bronzier d’art. C’est à la fois intime, lumineux, moderne et traditionnel, elle a donné toute sa mesure en donnant carte blanche à ses artisans préférés. L’établi est désormais parti juste à coté dans son showroom bureau, pendant qu’on parle, on entend le maillet en bois de Jessica qui martèle le métal, on est bien chez Monsieur où tout est fait à la main.
Ce que tu adores ?
« La magie de l’atelier, le bazar, le joyeux bordel, les mains noires, les innombrables piles de petites boites qui ensevelissent des trésors, les factures écrites à la main, le travail dans la matière qui laisse place à l’étincelle de la création, la maitrise de toute la chaine de production, l’humain, les rencontres, les trucs aléatoires, le destin, Mektoub ! »
Au moins c’est clair, Monsieur, c’est une marque qui a fait de l’éthique avant l’heure, du local avant la crise sanitaire, de la scénographie avant le merchandising, de l’artisanat parisien avant l’artisanat du bout du monde, de la proximité avant la notoriété.
Parce que dans la vie de Nadia, si tout ce joyeux bazar c’est transformé en succès, c’est parce que tout ça fait du sens, et renoue avec une tradition qui avec elle, a franchi la méditerranée.
Ce que tu fuis ?
« Tout ce qui est formaté, parfait, calibré, identique, lisse, sans aspérité, sans défaut, prévisible, répétitif, froid, distant, impersonnel. »
Nadia n’a pas tenu un bar pour rien, elle adore le dialogue, le service, ses clientes, toutes ses clientes, même celles qui lui rapportent leur bijou cassé en racontant qu’elles ne comprennent pas du tout pourquoi ça a pété alors qu’elles ont dansé dessus…D’ailleurs, elle a eu une idée géniale, elle va lancer le service « Petit Monsieur », un service de réparation de bijoux ou l’on pourra rapporter chez elle tous ses vieux bijoux cassés pour leur redonner le lustre d’un bijoux tout neuf. Une idée géniale, qui n’a pas cherché un jour un artisan de confiance pour réparer une chaine cassée, redorer un bijou usé ou remonter une pierre perdue ? Avec « Petit Monsieur », c’est enfin demain !
Tes plus belles créations ?
« C’est le dialogue que j’entretiens avec les artisans, parce que c’est là que naissent mes idées »
Décidément, Nadia est comme ses artisans, elle ne se prend pas au sérieux, mais elle fait les choses très sérieusement. Mais ce qu’elle ne dit pas, c’est que tous ses jolis bijoux existent grâce à son esprit d’entreprise, sa capacité à fédérer des artisans, et à créer un lieu unique où toutes ces énergies se combinent pour créer un bijou charmant.
Le lieu où tu te sens le mieux ?
« Dans mon showroom-atelier et ma boutique ! »
Car si vous passez au 53 rue Charlot ou tout à coté rue Perrée, vous êtes sur de la trouver.
Et si j’ai toujours été irrésistiblement attirée par cette ravissante boutique-atelier, je ne savais pas pourquoi, mais maintenant je sais.
Mektoub ! La boutique Monsieur de la rue Charlot me rappelle la magie de l’échoppe du bijoutier du douar des Benni-Yenni, là où l’artisan penché dans le clair-obscur de son atelier façonne des talismans de ses mains noires depuis la nuit des temps, se lève pour vous accueillir, vous montrer ses bijoux, vous écouter, et vous raconter sa vie en pleurant… de rire, évidemment !
Photo Delphine Jouandeau, texte Sylvie Arkoun