Il y a une différence entre relancer une marque et la faire renaitre, une différence considérable.
Relancer une marque, c’est lui faire retrouver la désirabilité qu’elle a perdue.
C’est difficile mais faisable, le plus bel exemple en la matière reste celui de Louis Vuitton, sauvé in extremis de l’oubli dans les années 90 par Bernard Arnaud, aujourd’hui fleuron du groupe LVMH.
Alors que dire d’une renaissance ? C’est un challenge qui se situe au-delà du raisonnable.
La marque a disparu, elle a été rayée des registres, elle n’a plus d’existence physique, plus de chiffre d’affaire, plus de lieu symbolique, plus de mémoire vivante. C’était le cas de la marque de joaillerie VEVER. Oubliée du grand public, sa trace ne persistait que dans les anthologies de joaillerie de l’Art Nouveau et dans le cœur d’une jeune femme, celui de Camille Vever. Et c’est là qu’on touche au merveilleux, voir au mystique, parce ce que même si les anges de la finance lui tiennent la main, faire renaitre une marque disparue depuis déjà 40 ans, ça tient du miracle.
J’étais tombée sur VEVER en novembre dernier en cherchant les nouveaux joailliers utilisant des diamants éthiques, et j’avais été captée par l’audace de leur communication.
Un nom qui sonne comme une victoire, un décor blanc de galerie d’art, une aura d’un bleu céruléen, et trois collections ultra désirables tout droit sorties d’un jardin enchanté. A la lecture de l’histoire, deux dates m’avaient frappées, 1821 – 2021. Cette marque dont je n’avais jamais entendu parler avait donc deux siècles et était née rue de la Paix à deux pas de chez Mellerio.
L’œil blasé du Colombo du bijou que je suis s’est réveillée d’une longue léthargie. Depuis longtemps, rien d’aussi étonnant n’avait attiré mon attention. J’ai pris mon téléphone et j’ai appelé Camille Vever, représentante de la 7ème génération du fondateur de la marque et à l’origine de sa renaissance avec son frère jumeau Damien Vever.
La rencontre ne pouvait se faire sans Sandrine De Laage, la talentueuse directrice artistique de la marque. Le rendez-vous a été pris un jeudi, parce que le reste du temps, Sandrine vit au vert, au milieu de son jardin enchanté.
Le jour J, arrivée au 9 rue de la Paix, je ne réalise pas que je suis en face de l’ancienne boutique VEVER aujourd’hui disparue. L’immeuble est historique mais l’ascenseur futuriste, j’appuie sur le bouton du 9ème étage. Une fois passé le sas de sécurité, je pénètre dans le showroom de la toute jeune marque, un doux cocon bleu qui flotte dans un ciel parisien du même ton. Je suis happée par le balcon qui domine les toits de Paris et la colonne Vendôme, une enseigne VEVER trône comme l’étendard d’un lieu reconquis de haute lutte, la symbolique est là.
Camille Vever vient de sortir de son bureau pour m’accueillir dans le salon feutré inondé de lumière. Brune et vive, longue robe bohême et visage au naturel, elle s’excuse auprès de ma photographe Delphine de ne pas être passée par la case coiffure-make-up. Pas grave, la lumière c’est mieux qu’un maquillage ! Camille est une jeune femme pressée, à l’évidence, la renaissance d’une marque n’est pas une sinécure.
Elle me présente Sandrine de Laage qui vient juste d’arriver, je reconnais immédiatement cette longue silhouette, ce look androgyne et ce regard bleu-gris, je suis son Instagram créé en 2015 autour de sa marque éponyme. Elle aussi rigole en s’excusant du no-make-up-pas-le-temps, à coté avec mon eye-liner cuivre et ma jupe en soie assortie, j’ai l’impression d’être une poupée Barbie. Nous nous installons toutes les trois dans ce cocon bleuté, l’histoire de la renaissance de VEVER peut commencer.
Elle me raconte qu’en 1982, quand son grand-père ferme les portes de la marque VEVER, elle a trois ans, cet évènement ne lui laisse aucun souvenir. Ce n’est que quelques années plus tard, quand sa grand-mère lui offre pour son anniversaire un bijou dans un écrin VEVER siglé à son nom que le lien se renoue. Le symbole de la transmission l’a touchée au cœur, une petite voix ne la quittera plus et l’accompagnera à chaque étape de sa vie. Désormais, elle ne rêvera que d’une chose, recréer du vivant autour de la marque de ses ancêtres pour l’inscrire dans l’histoire.
Mais si Camille rêve du firmament de la joaillerie française, elle suit un parcours qui ne la prédestine pas directement à ce vœux d’enfant.
C’est quand elle me parle de ses études qu’on réalise toutes les trois qu’on a fait l’université Paris- Dauphine à des époques différentes, bien sûr je suis la doyenne du trio ! Camille m’explique qu’elle a choisi la finance, puis qu’elle a fait ses premières armes dans les fusions-acquisitions, avant d’être nommée directrice générale d’une société de recherche clinique. Je commence à la regarder d’un autre œil, mon CV à coté c’est de la guimauve, à moins de 40 ans, Camille a déjà une prouesse à son actif :
« Je suis parvenue à redresser une société qui avait des difficultés dans un domaine scientifique dans lequel je ne connaissais absolument rien. Je dirigeais des experts, des gens beaucoup plus compétents que moi dans leur spécialité ».
Ce premier succès est riche d’enseignements, mais surtout la galvanise et dézingue le syndrome d’imposture qui la paralysait depuis trop longtemps. Elle se sent enfin capable de lever le challenge qu’elle s’est lancée petite fille, faire revivre la maison de joaillerie Vever.
« J’ai réalisé à ce moment que le secret pour que ça fonctionne, s’est de savoir s’entourer des meilleurs dans leur domaine ».
Elle fait de cette conviction son mantra. C’est exactement ce qu’apprend la finance, la conscience de la complexité, la valeur des compétences, la force de l’union, les leviers du succès. Dans mon domaine du marketing, on est tout de suite dans la tâche, dans le faire, dans le tourbillon de l’action, mon talon d’Achille… Quand moi je mets direct les mains dans le cambouis, Camille, elle, joue la carte du recul, observe, analyse, calcule, planifie.
On est en 2019, le déclic a lieu, mais par où commencer ? Camille ne connait toujours rien au monde de la joaillerie. Pragmatique, elle se tourne vers l’Académie des Métiers d’Art qui propose un incubateur pour les personnes porteuses d’un projet. Son but ? Construire son business model et nouer des contacts avec des experts. Et là c’est bingo !
L’engagement de Camille dans le domaine éco-responsable est total. Elle m’explique que c’est là qu’elle rencontre Coralie de Fontenay, l’ancienne directrice générale de Cartier France vient juste de monter la structure LuxImpact avec Frédéric De Narp, lui-même ancien CEO de Cartier et Harry Winston. Ils ont exactement la même vision que Camille sur la joaillerie de demain, l’affaire est conclue, Camille a trouvé ses experts et LuxImpact sa première marque mythique à relancer.
Frédéric parle de Sandrine de Laage à Camille, elle est, selon lui, la meilleure pour prendre la direction artistique de la marque. A ce moment de l’entretien, Camille se tourne vers Sandrine qui nous écoute silencieusement :
« J’ai une chance inouïe d’avoir croisé le chemin de Sandrine, sans son talent, je n’aurais pas pu redonner vie à la marque ! »
L’union fait la force, la vision de Camille se cristallise dans cette rencontre providentielle. Je demande à Sandrine de me raconter comment l’aventure a commencé pour elle.
Elle m’explique que si elle aussi a fait Dauphine, c’est par injonction parentale, elle a tout de suite enchainé sur une école de design industriel, son rêve depuis toujours. Comme tous les grands, Sandrine De Laage est d’une sidérante modestie, c’est avec la plus grande simplicité qu’elle me raconte que de Paris à New York, elle a été la directrice artistique de Cartier puis de Harry Winston, avant de changer de vie il y a 6 ans.
« Je suis partie vivre à LA pour être plus proche de la nature, j’ai été influencée par mes enfants, leur engagement pour l’écologie a eu un réel impact sur leur choix de vie, et sur la mienne aussi. »
Elle monte là-bas sa propre marque éponyme, continue de dessiner en freelance des collections pour de grandes maisons de joaillerie, notamment De Beers, mais ce virage radical l’amène à se poser des questions sur le sens que prend le luxe dans sa vie. Elle s’intéresse aux aspects éthiques de la joaillerie et se pose même la question d’utiliser pour sa propre marque des diamants de laboratoire dont elle vient d’entendre parler pour la première fois au salon COUTURE de Las Vegas. Elle qui a fait toute sa vie la promotion des diamants de mine est immédiatement convaincue que cette innovation est l’avenir de la joaillerie. Mais on est en 2015, c’est encore trop tôt, le marché démarre à peine et ce type de produit est difficile d’accès, elle renonce tout en continuant d’observer l’évolution du marché.
En 2019, quand Frédéric De Narp, son ancien CEO de Harry Winston, l’appelle en lui demandant si elle connait la marque VEVER, elle lui répond « Oui évidemment ! ». Dans les écoles de joaillerie, qui ne connait pas Henri Vever, le maitre de Lalique ? Mais c’est quand Frédéric lui parle du futur modèle que son attention accroche :
A ce souvenir, Sandrine s’anime, les yeux brillent et les mains dansent. Si Camille portait déjà la marque dans son cœur, celui de Sandrine y est venu par son approche éthique. Enthousiaste, elle s’exclame :
« Le luxe aujourd’hui, c’est notre planète, c’est respirer l’air pur, ce sont les matières qu’on utilise, c’est la façon dont on est capable de les traiter dans un atelier, c’est le génie humain ! Et c’est aussi ça qu’offre le diamant créé par l’homme ! ».
Mais avant de s’engager, elle demande quand même à Frédéric De Narp de lui laisser le temps de se plonger dans les archives de VEVER. Ce voyage dans le passé qui la propulse à l’âge d’or de la marque se révèle totalement jubilatoire. Elle découvre avec passion un trésor né dans la période prolifique de l’Art Nouveau. Sa décision est prise, elle rentre en France, elle fera partie de l’aventure VEVER.
Sandrine me raconte que quand elle débarque en France début 2020, c’est le début de la pandémie Covid. Confinée en Corse quand Camille est en Normandie, elles ne se sont toujours pas rencontrées. Elles échangent en visio, Sandrine est tombée amoureuse de l’univers de VEVER, elle a déjà commencé à se raconter une histoire, elle envoie ses premiers dessins à Camille :
« Quand j’ai vu les premiers dessins de Sandrine – dit Camille, j’ai éprouvé une grande émotion, j’ai tout de suite pensé à Paul et Henri Vever, les deux hommes phares de la maison. Et je me suis dit que si ils avaient été là aujourd’hui, ils auraient été heureux de s’entourer de quelqu’un comme Sandrine ! ».
Ses dessins ont parlé pour Sandrine, Camille est convaincue d’avoir trouvé la meilleure directrice Artistique pour le VEVER de demain. Dans ce choix décisif, sa conviction de marcher sur les traces de ses aïeux est clé :
« Henri Vever s’est toujours entouré des plus grands dans leur domaine, le maitre verrier René Lalique, l’affichiste Eugène Grasset, le joaillier Frédéric Boucheron. Au début du 20ème siècle, il avait déjà inventé le concept de la collab ! ».
Je me tourne vers Sandrine, comment a-t-elle travaillé sur ces nouvelles collections ? Les motifs figuratifs de l’Art Nouveau me semblent assez loin de sa patte personnelle qui signe des formes sobres, modernes et mixtes, comme la fameuse bague Boyfriend qu’elle porte à son doigt. Sa réponse fuse :
« L’idée avec Vever, ce n’était pas de faire de l’Art Nouveau ! Surtout pas ! J’ai été habitée par le monde de VEVER d’il y a un siècle, mais toutes ces images de femmes lumineuses, de couleurs, de nature mystérieuses et de matières m’ont emmenées non pas dans un présent, mais dans un futur ! »
Je comprends que le travail de Sandrine est celui du conteur. Elle s’empare de l’histoire des marques comme le biographe s’empare de la vie de son personnage. Mais l’histoire qu’elle raconte et qu’elle met en image est la sienne. L’exquise fleur de Ginko, les lianes enveloppantes d’Elixir et la Déesse de la pluie sont le fruit de ce périlleux exercice de transposition.
Je suis impressionnée, mais comment a-t-elle donc fait pour tirer le bon fil créatif dans cet univers foisonnant ?
Honnêtement, cette phrase résonne tellement en moi que je suis à deux doigts d’embrasser Sandrine !
Camille aussi d’ailleurs, mais elle exprime son admiration à sa façon, avec sincérité, élégance et retenue :
« Oui, c’est un honneur pour moi de travailler avec Sandrine… »
Un fois l’histoire écrite et surtout dessinée, Camille m’explique qu’elle a repris son rôle de chef d’Orchestre.La mise en valeur du savoir-faire français est évidemment dans les gènes de la marque, elle choisit deux ateliers parisiens pour fabriquer les collections Joaillerie et Haute Joaillerie, les meilleurs, évidemment.Les choses s’enchainent avec une rapidité déconcertante, un an de développement suffit, moitié moins que dans les plannings des grandes maisons.
Sandrine me raconte qu’elle jubile de sa nouvelle liberté, elle poursuit son travail exploratoire, les techniques d’hier sont revisitées, notamment l’utilisation de l’émail appliqué à jour né dans la période Art-Nouveau. Elle le développe sur des formes courbes qui magnifient la transparence de l’émail, une nouvelle prouesse de l’atelier et de l’émailleuse Sandrine Tessier, une autre experte qui a le titre prestigieux de Meilleur Ouvrier de France, évidemment.
L’audace qui a guidé Henri Vever en son temps propulse Camille et Sandrine vers de nouveaux horizons.
«Moi ce que j’aime dans l’Art Nouveau – me dit Camille, ce sont ces deux mots, Art et Nouveau. Pour nous la joaillerie c’est de l’art. Derrière un bijou, il y a au moins 10 personnes qui ont travaillé, c’est une intention noble, l’expression du génie humain.»
Retrouver la technique oubliée de l’émail appliqué à jour et la faire évoluer, associer des diamants de laboratoire à ce matériau ressurgi du passé, proposer une joaillerie différente qui se portera demain, veiller à ce que chaque geste procède d’une démarche éco-responsable, toute l’audace de VEVER tient dans ce manifeste de la marque écrit par Camille et dessiné par Sandrine.
Les nouvelles collections VEVER sont sorties en juin 2021, deux siècles exactement après la création de la marque par l’aïeul de Camille, Pierre-Paul Vever. Le carnet à dessin de Sandrine est dans les mains des artisans qui travaillent sur les nouveaux modèles et les première clientes des bijoux Vever sont déjà là. Des passionnées de joaillerie à l’affut de créations singulières, ou des milléniums soucieux d’investir dans un bijou éco-responsable, comme cette jeune femme qui vient d’entrer dans le show-room et qui cherche sa bague de fiançailles.
Pendant que Sandrine tire sa révérence pour voler vers un autre rendez-vous et que j’essaye la fleur de Ginko et tous les bijoux de la ligne Elixir, Camille m’explique que son prochain challenge est la notoriété de la marque qu’elle développe sur plusieurs plans.
Une prestigieuse vitrine au Printemps de la joaillerie, la sélection de lieux d’exception à l’international, l’expansion digitale, et le buzz créé par les amies de la maison. La top modèle Constance Jablonski, la décoratrice Laurence Simoncini, l’écrivain Sylvie Ohayon, et la business angel Pauline Duval font partie de la dream team VEVER, un club de femmes inspirantes à faire pâlir d’envie les magnats du luxe français.
Le pari de Camille est gagné, la vie est revenue sous l’enseigne historique de la rue de la Paix. J’ai failli repartir du cocon bleu céruléen avec la boucle Elixir à mon oreille, parce que si je ne suis pas Constance Jablonski, son éclat magique m’a donné l’illusion de participer un peu à cette renaissance écrite à plusieurs mains.
Et si c’était vrai ? Après tout, un des manifestes de la marque c’est « La magie sans l’illusion »… Alors en toute modestie et avec jubilation, je rejoins la dream team VEVER, car si cette renaissance miraculeuse devient un mythe de demain, c’est parce que chacun-e de nous peut la raconter !
Texte Sylvie Arkoun