Gripoix, ou le voyage de la Pâte de verre

image-5Les marques sont comme des personnes.

Il y a celles qui nous accompagnent toute notre vie, comme des frères, des sœurs. On est né avec elles, on les aime, puis on se brouille, on est en froid, puis on se revoit, mais ça dure toujours.

Pour moi, dans les bijoux, ce doit être un peu Chanel. Très jeune, c’était mon rêve de bague outsanding, après j’ai eu un grand blanc, et aujourd’hui, j’aime cette marque d’un amour inconditionnel, quoi qu’elle fasse.

Il y celles pour lesquelles on a un coup de foudre. C’est l’amour passion, on est prêt à toutes les folies pour elles, on en rêve nuit et jour, on en perd le boire et le manger, et puis d’un coup, ça retombe comme un soufflet, et on les oublie définitivement.

Pour moi, dans les bijoux, ce doit être un peu Harpo à 18 ans, Scooter à 25, Dinh Van à 30 et Pomellato à 40. Aujourd’hui, ce sont mes chouchous chez les créateurs, et je pense que cet amour là est un peu plus durable …

Et puis il y a celles dont on connaît l’existence depuis toujours, parce qu’elles sont dans le paysage, mais on ne les a jamais vraiment côtoyées. Comme les gens qui sont familiers mais jamais proches (voisins, amis d’amis, célébrités ), dont on croise la route de multiples fois sans même se dire bonjour, jusqu’au jour où…

Pour moi, cette marque c’est Gripoix.

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Si je vous parle de Gripoix aujourd’hui, c’est parce que différents chemins m’ont mené à elle récemment. Et aussi parce ce que ces bijoux sont des cadeaux de Noël extraordinaires pour une femme qui aime les bijoux à forte personnalité.

En juillet, à l’occasion de ma visite de la boutique Guerlain des Champs Elysées, j’étais tombée en arrêt devant le sublime flacon l’Heure Bleue ornementé par Gripoix.

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Puis j’ai vu les bijoux de la marque exposés par l’agence de presse Favori, et j’ai adoré ces pièces tellement couture aux couleurs chatoyantes, des pièces intenses, baroques, au charme unique lié aux cabochons de pâte de verre, et aux motifs sophistiqués.

Et enfin, à force de fouiner sur le site de vente d’objets de luxe vintage 1rstdibs, je me suis aperçue que la cote de Gripoix sur le vintage était incroyablement élevée, ce qui est le signe d’une belle valeur de marque.

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Du coup, je me suis mise à suivre la marque sur Instagram, et j’ai réalisé que dans ce qu’on appelle la «Costume Jewellery» (bijou fantaisie en français, bcp moins sexy), il y avait des trésors …

Et aussi, depuis la dernière Fashion week, je vous ai pas mal parlé de l’émail, hyper tendance cette saison chez les créateurs de bijoux.

Or, l’émail, comme la pâte de verre, sont des techniques cousines, qui ont une histoire millénaire.

Bon, là je vais me prendre au sérieux, façon prof Les Précieuses, comme disait mon cher père, il faut faire l’effort de s’intéresser à l’histoire, sinon on passe à coté de l’essentiel, on ne peut pas comprendre son temps…

Email et pâte de verre sont des techniques artisanales qui consistent à appliquer une matière fondante composée d’éléments minéraux (silice pour le verre, oxydes métalliques pour l’émail), appliquée à l’aide du feu sur des ouvrages en or, argent, cuivre, ou sur un alliage spécial pour le verre.

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L’homme est malin, très malin, et ça ne date pas d’hier.

Ces techniques ont été inventées au cours deuxième millénaire avant JC, en Mésopotamie.

Does it ring a bell ?

Les vallées du Tigre et de l’Euphrate, le croissant fertile, une région bénie par les dieux, irriguée naturellement par deux fleuves rois, région originelle de l’écriture, du droit, de l’astrologie, de la médecine, des premières religions, des arts premiers, de l’organisation sociale.

Aujourd’hui, région partagée entre l’Irak et la Syrie, le lieu le plus explosif de la planète.

Je crois que c’est aussi ce paradoxe qui m’a donné envie de parler envie de parler de la pâte de verre, et donc de la marque héritière de cette tradition en France, Gripoix.

Après les premières parures en pâte de verre trouvées en Mésopotamie, pour remplacer les pierres fines comme la turquoise ou le lapis, on en retrouve dans l’antiquité, dans les objets funéraires des Egyptiens, puis dans les parures des phéniciens et des romains .

De l’antiquité tardive au Moyen Age, la perle de verre n’a cessé de voyager, véritable pont entre l’orient, l’occident, et l’Afrique.

Très utilisée dans les chapelets musulmans à partir du VIIème siècle, les grandes régions productrices de verres sont dominées à ce moment par la monde arabe, des rives de la Méditerranée à L‘Afrique.

Les perles de verre ont au XVème siècle été importées à Venise par les artisans verriers qui fuyaient la chute de l’empire Byzantin, puis dans le Nouveau Monde par les colons, qui se servaient des perles comme monnaie d’échange. La fabrication occidentale s’est concentrée sur Murano au XVème siècle, et la technique a été exportée à ce moment en Hollande et en Europe centrale.

A la fin du XIXème siècle, les Etats-Unis sont les grands consommateurs de perles de verre, et c’est à ce moment que la mode occidentale va de nouveau s’emparer de cette technique, pour en faire la star des années 1900 et de l’art nouveau.

En 1870, Augustine Gripoix, dessinatrice, rachète la firme Gasse, qui fabrique des perles de verre. J’adore l’idée, une femme qui rachète un atelier pour elle toute seule à la fin du siècle le plus misogyne de l’histoire de France…

Augustine est douée, mais elle a aussi la chance d’arriver au moment de la mode des bijoux incroyablement baroques de la belle époque, portés par la grande Sarah Bernardt, et mis en scène par Poiret et et Worth, couturiers stars du début du siècle.

L’art nouveau s’empare aussi de cette technique, Lalique expose ses bestiaires où les opales, les pierres fines et les diamants côtoient l’émail et la pâte de verre, c’est le grand retour de la technique ancestrale.

La fille d’Augustine, Suzanne, est aussi douée que sa mère. Coco Chanel, dans les années 20, lui commande une collection de bijoux, elle adore la pâte de verre qui lui permet d’aboutir tous ses idées, dans un style résolument moderne, qui tourne le dos au baroque « ballets russes»  du début du siècle.

Suzanne ajoutera sa touche en inventant un système de nacrage qui donne aux perles une luminosité extraordinaire, et qui sera largement adopté par Chanel sur différents supports. Jeanne Lanvin devient aussi cliente de Gripoix, la marque est lancée dans le monde de la couture, les collaborations seront multiples jusque dans les années 80, y compris avec le grand Karl.

Après les années 80, les collab se ralentissent, et Gripoix se fait plus discrète. C’est Josette, la fille de Suzanne, qui a pris la relève, une véritable dynastie de femmes, encore un truc qui me plait chez cette marque !

Et puis la marque est sortie de la famille Gripoix en 2006, comme plein de marques très anciennes, il faut des capitaux, de nouveaux horizons, de nouvelles perspectives, de nouvelles compétences.

C’est là que les turbulences arrivent, en général. Il faut un temps pour que la marque retrouve ses bases dans le changement, pourtant nécessaire à sa seconde vie.

Je suis donc allée voir Gripoix alors qu’on n’en parle pas beaucoup ces derniers temps.

Le nouvelle boutique de la marque se trouve place des Victoires, une des cinq places royales de Paris au milieu de laquelle Louis XIV nous salue avec panache, entre le Palais-Royal et la Bourse, un quartier qui a toujours attiré les créateurs, d’ailleurs Sarah Lavoine vient d’y ouvrir son flagship, sublime évidemment !

Fanni, qui s’occupe de la création, nous a accueilli chaleureusement, et tout en l’écoutant, je me suis amusée à tout essayer dans la boutique.

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Le lieu est blanc et doré, sobre et épuré, moderne et ancien, j’ai complètement craqué pour les manchettes qui jouent sur les alternances de transparence et de couleurs opaques, sur les bijoux floraux, les bagues baroques.

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Fanny nous a ensuite fait monter à l’étage, où se niche le studio de création de la marque, sa bibliothèque d’archive, et l’atelier qui donne sur la sublime statue de Louis XIV.

Passionnée par la marque pour laquelle elle travaille depuis quelques années Fanni nous a ouvert les archives, les cahiers de dessin, nous expliquant tout ce patrimoine extraordinaire sur laquelle elle appuie son travail de création.

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Il y a dans ces cahiers tous les trésors réalisés par Gripoix au siècle dernier pour les grands de la mode, de Chanel à Lanvin en passant par Christian Lacroix, Schiaparelli ou Balenciaga.

Le patrimoine de la marque est incroyable, il faut juste savoir le réécrire à la lumière de notre époque. Fanni est jeune, elle adore cet exercice qui consiste à se plonger dans les archives, et à en tirer un bijou plus moderne, plus désirable, dans l’air du temps. D’ailleurs, elle s’est fait un ravissant bijou d’oreille qui se marie parfaitement avec ses pendants dorés, complètement craquant !

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Mais ce que je vous conseille absolument de faire si vous allez admirer les bijoux Gripoix place des Victoires, c’est de demander à Fanni de vous faire visiter l’atelier, là où, comme il y a 2000 ans, avec le chef de l’atelier, ils fondent les tiges de verre au chalumeau pour créer les cabochons multicolores.

C’est absolument fascinant de la voir choisir une tige de verre colorée, fondre l’extrémité à la flamme bleue rougeoyante du chalumeau, et laisser glisser la goutte ainsi obtenue sur l’estampe ancienne de chez Janvier qui servira de base au bijou.

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A peine refroidie, la goutte se transforme en un ravissant cabochon de verre translucide, c’est absolument magique.

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Fanny nous a fait admirer les 180 couleurs de verres utilisées par la marque, et nous a expliqué que l’alliage avec lequel sont réalisés les bijoux Gripoix est unique, secret maison, car il est le seul a supporter la température de fusion élevée ( 800°) du verre.

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Elle nous a aussi montré les perles et les cristaux de chez Swarovski, qui se mélangent harmonieusement avec les couleurs de la pâte de verre, et nous a expliqué que la seule étape réalisée en dehors de l’atelier est la dorure, la quasi totalité du bijou étant fait dans cet atelier de la place des Victoires.

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Je suis partie de chez Gripoix en me disant que cette marque était une belle endormie, qui avait un grand avenir devant elle, à condition de savoir dessiner le chemin de son avenir, aussi bien qu’elle a tracé celui de son passé.

Allez faire un tour place des Victoires saluer Louis XIV, faire le tour de la plus belle place de Paris, flâner dans la Galerie Vivienne toute proche, et découvrir la technique magique et ancestrale de la pâte de verre chez Gripoix.

C’est beau et accessible, «de Vrais bijoux en toc» comme disait la grande Coco Chanel.

Je dirais même plus, de vrais beaux bijoux fantaisie, quelque chose de rare dont toute la poésie réside dans une longue histoire, et dans un savoir faire qui a traversé les siècles et les frontières, des rives du tigre et de l’Euphrate… à la place des Victoires.

Photos Sarah Clavelly

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