Collection, accumulation, empilement…
Ces comportements névrotiques ont été littéralement happé par la mode pour nous dicter une tendance de fond: coté fringues, il faut empiler les couches les unes sur les autres, quitte à devoir s’éplucher comme un oignon en cas de coup de chaud, et coté bijoux, il s’agit de les accumuler pour créer un effet répétition, absolument irrésistible ces derniers temps. Stacking et Layering sont devenus les mots d’ordre des rédactrices de mode, et visiblement, ce n’est pas la lubie d’une saison, mais une tendance lourde qui va nous poursuivre un certain temps.
À force de voir toutes les blogueuses branchées et les hit girls arborer des mains , décolletés et bras entièrement couverts de bijoux, je me suis demandée si il y avait un décodage socio-psychologique à ce phénomène.
D’abord, j’ai pensé à l’explication « crise ». On a du mal à boucler les fins de mois et on a peur du chômage, alors on conjure le mauvais sort et on se lâche total sur une frénésie d’achat, qui pour être totalement salvatrice doit concerner le même produit décliné en plusieurs exemplaires.
La reproduction, ça fait aisance, riche, bling, ça prouve qu’on a les moyens de s’en acheter plusieurs, un seul ça ferait chiche, et puis quand on aime au diable l’avarice. La collection rassure, elle affiche une certaine forme d’opulence, qui même si elle est factice, fait son petit effet.
Et puis je me suis dit que c’était un peu court, et que derrière cette espèce de fièvre à empiler les bijoux, il y avait aussi l’idée de se cacher derrière l’objet, de se faire une carapace ou une armure derrière laquelle on est protégé, en jouant le rôle d’une personne forte, au look affirmé voir un tantinet ostentatoire. L’accumulation rend plus fort, c’est un peu comme endosser un costume, il aide l’acteur à jouer le personnage.
La dernière explication, sans doute la plus personnelle, mais aussi la plus tirée par les cheveux, est qu’au fond, nous sommes tous des collectionneurs compulsifs. La collection n’est que la répétition frénétique de l’état de désir, qui se transforme en tension, et que seule la possession peut dénouer.
Certains, banalement, collectionnent les stylos, les montres ou les voitures, parce qu’ils aiment passionnément les stylos, les montres ou les voitures ( d’autres collectionnent les femmes, mais ça c’est une autre histoire, il serait insultant de suggérer que les femmes ne sont que des objets …).
Le premier stylo est une satisfaction, le deuxième un plaisir et le troisième devient une drogue. La réalisation du désir rendant instantanément l’extase obsolète, il faut vite vite recommencer le cycle désir-tension- possession qui flirt avec l’état nirvanesque.
Cette frénésie ambiante d’accumulation m’a remis à l’esprit un grand classique des années 70, « La société de consommation », du célèbre philosophe Jean Baudrillard : « L’homme consommateur se considère comme devant jouir, comme une entreprise de jouissance et de satisfaction… C’est le principe de maximisation des contacts, des relations, par usage intensif des signes, d’objets, par exploitation systématique de toutes les virtualités de jouissance ».
Quel visionnaire, et dire qu’il pensait il y a maintenant plus de 40 ans que quelque chose viendrait nous sauver de cette messe blanche du fétichisme et de la collection d’objets et de signes !
Hélas, nous vivons le paroxysme de ce piège de la plénitude apparente. N’en sommes-nous pas maintenant à collectionner les selfies et likes sur internet !!! La mythologie moderne n’est-elle pas en train de s’enrayer sur une abstraction ???
Le dernier film de Sophia Copola, the Bling Ring, qui met en scène la fascination d’une bande de jeunes pour les célébrités de hollywood et leurs orgies Facebookées de fringues de luxe n’est elle pas la mise en abîme de ce vide intersidéral ?
A l’instar de Jean Baudrillard, je me demande parfois si notre société n’a pas perdu la tête en nous rendant totalement signe-dépendant, en nous faisant systématiquement avancer par la volonté de réaliser en permanence et le plus vite possible nos propres désir de paraître. Peut-être pour oublier que nous sommes en manque de quelque chose, et que cette furie narcissique cache le vide… de l’objet !
Stop, j’arrête la leçon de philo, retournons à nos bijoux, et à nos collections de manchettes et de bracelets.
La mode de l’accumulation des bijoux est certes le comble du futile, mais elle a le mérite de nous permettre d’assouvir une envie en développant une certaine forme de créativité.
On n’a plus à choisir, on empile, on assortit, on décline, on s’amuse, jusqu’à la saturation, peut être pour tout effacer, et recommencer à zéro, demain…
Nous nous sommes beaucoup amusées ce vendredi torride, dans le jardin des Tuileries, à combiner les merveilleuses manchettes d’Anais Rheiner, Aime et Louise Hendricks. Bling peut être, mais régression jubilatoire qui a tant fasciné le jardinier des tuileries qu’il nous en a même prêté… son tracteur.
A vos collections de manchettes !
Et merci aux marques Anais Rheiner, Aime et Louise Hendricks de m’avoir prêté leurs magnifiques manchettes et bracelet !
C’est top cette virée en tracteur !