Retour en Algérie

Depuis mon retour sur Les Précieuses, j’ai décidé d’élargir mes sujets à d’autres domaines que la création de bijoux.

La création au sens large m’intéresse, qu’elle soit littéraire, artistique ou gastronomique, finalement ce que j’aime c’est aller voir ce qui construit le parcours singulier des créateurs et de raconter leur histoire.

Les voyages font aussi partie de ma vie car je bouge pas mal et c’est souvent l’occasion pour moi de découvrir des personnalités qui m’étonnent et m’inspirent.

J’avais recommencé à écrire sur le blog en racontant mon voyage de décembre au Liban dans le cadre de mon travail pour le joaillier Selim Mouzannar et maintenant, j’ai envie de vous raconter le voyage que j’ai fait en Algérie en janvier dernier.

Parce qu’il est prémonitoire des évènements que ce pays vit aujourd’hui et parce qu’il m’a profondément touché.

Et si les bijoux n’apparaissent qu’en toile de fond dans ce post, il n’en jouent pas moins un rôle majeur dans mon histoire.

L’Algérie, c’est parti !

J’avais beaucoup hésité à repartir en Algérie.

Ce colloque sur la pensée de mon père arrivait-il un peu tard, trop tard ?

Plus de huit ans après sa disparition, plus de quatre ans après la sortie de mon livre, j’avais fait mon deuil, c’était derrière moi, il me semblait que la page était tournée.

Je ne suis pas de celles qui se retournent sur le passé avec des trémolos dans la voix. Je m’en souviens avec bienveillance, rarement avec regret, jamais avec nostalgie. Ce qui a été, fait maintenant partie de moi, je l’ai assimilé, j’essaye juste de m’en servir pour la suite.

J’avais reçu en décembre le mail d’un certain Samir qui m’invitait à ce colloque « international » organisé à Tizi Ouzou, capitale de la Kabylie, pour parler de mon livre, Les vies de Mohammed Arkoun .

Le mot international m’avait fait sourire, venant d’un pays recouvert par une chape de plomb aussi puissante qu’un répulsif pour Intellectuels hors sol, pays où il n’y a d’international que les chinois qui construisent les mosquées et qui importent les biens de consommation courante.

J’avais tout de suite demandé la liste des intervenants, et j’ai été favorablement surprise. Plutôt triés sur le volet, je me suis dit que si tous ces intellectuels, et notamment Ghaleb Bencheikh prenaient le chemin de Tizi Ouzou en plein mois de janvier, le colloque marquerait un réel changement de paradigme.

A la veille d’une élection qui devait en toute logique valider le cinquième mandat d’un président fantomatique, j’ai voulu y voir un paradoxe inaugural, l’allumette qu’on allume dans l’obscurité opaque.

Le fossile du parti unique n’était-il pas en train de se fissurer ? Les énergies individuelles, la volonté de s’ouvrir au monde extérieur, le besoin de reconstituer le fil des histoires escamotées, l’envie de comprendre… et si la nouvelle génération algérienne était en train de se réveiller d’une longue léthargie ?

J’ai alors appelé mes amis algériens, car moi qui suis obstinément imperméable à la perception du danger, je craignais un peu ce voyage.

Il se trouve que le 16 décembre dernier, deux jeunes filles scandinaves avaient été horriblement assassinées dans l’Atlas Marocain en descendant du mont Toubkal. Attentat revendiqué par Daech, ou plus exactement par des affiliés marocains.

D’Alep à l’Atlas, l’hydre se déploie sans entrave, son poison se diffuse par internet aussi efficacement qu’un virus pulvérisé d’un aérosol. Or, Il se trouve que j’avais escaladé ce sommet de l’Atlas en 2013, juste à la fin de l’écriture de mon livre. La concordance des deux évènements m’avait frappé.

Si même le Maroc n’est pas un refuge pour deux jeunes filles blondes en quête de communion avec la nature, alors que dire de l’Algérie, pays auto-exclu des routes touristiques internationales, ancré dans un islam doctrinal pilier de la nation et hostile à tout discours critique sur le cadre établi depuis l’indépendance ?

Et puis pour moi, comme pour beaucoup de français, l’Algérie est un pays obscur. Quelle que soit son histoire personnelle et familiale, peu de gens sont déjà allés en Algérie, et quasiment personne ne projette d’y aller dans un futur proche. Ce pays est une non-destination, un non-projet, un non-sujet. Alors sur cette toile vide, faute de lumière, on y projette de sombres fantasmes, rémanences d’un passé tourmenté.

D’ailleurs, un ami proche né à Alger dans une famille pied-noir, marseillais d’adoption, m’avait donné pour mission de rapporter des photos d’Alger pour son vieux père qui n’avait pas revu sa ville natale depuis 55 ans. C’est dire la radicalité de la rupture.

 

J’ai moi-même découvert l’Algérie tardivement, en juin 2011, année qui avait suivi la disparition de mon père. Mon premier contact fut pourtant un éblouissement. J’y avais retrouvé une partie de ma famille perdue, le village de mes origines, et cette attraction purement charnelle aux odeurs, saveurs et couleurs que je portais en moi sans en avoir eu une réelle conscience.

Lors de ce premier voyage, ma tante Ghenima m’avait offert une tikefist, perle d’argent recouvert d’émail filigrané sur une chaine en argent. Par ce geste, elle actait un lien profond de ma généalogie familiale. Dans ma vie, les bijoux ont survécu à une longue omerta. Je suis venue aux bijoux tardivement, à la suite d’une longue et mystérieuse inspiration, qui s’est révélée être une tradition familiale, ma grand mère paternelle appartenait à une grande famille de bijoutiers kabyles.

J’avais fait un deuxième voyage à Alger en 2015 en tant qu’auteur pour participer au salon du livre, et j’avais été profondément touchée par la chaleur de l’accueil. J’avais ressenti la portée des messages de mon père, même absent il avait laissé une trace. Il était aimé, ses compatriotes étaient fiers de lui. La carrière internationale de cet enfant de la Kabylie avait besoin de s’incarner dans du réel. Le réel c’était un peu de moi et cette histoire singulière de la vie de mon père que j’avais racontée. Dans les nombreuses marques d’affection  qu’on m’avait témoigné, j’avais été émue par le geste spontané de cette dame qui m’avait donné  l’itri (étoile ) qu’elle portait autour du cou. Mon deuxième talisman kabyle, le signe de cet attachement premier avec les bijoux.

Jamais deux sans trois… Samir m’a confirmé le programme, mes amis m’ont rassurée, ma décision était prise, il fallait que je participe à cet hommage. Je le devais à mon père, lui qui avait tant souffert de ne pas être prophète en son propre pays, victime d’une histoire qui l’avait exilé de sa terre natale.

J’ai pris un vol d’Air France le vendredi 25 janvier en fin de matinée. Le premier pas dans l’avion a été un peu raide, un policier armé avait pris la place d’accueil habituellement occupée par le personnel de bord, demandant à chaque passager son passeport qu’il contrôlait d’un œil affuté au laser.

J’étais au premier rang, comme au spectacle et j’ai assisté à la répétition de la même scène pour chaque passager de l’avion.

La plupart, comme moi, obtempéraient sans rechigner, jusqu’au moment ou un homme plutôt jeune et barbu a fait l’objet de questions plus détaillées sur le motif de son voyage. Piqué au vif, il a accusé le flic de discrimination, celui-ci lui a répondu avec le plus grand calme qu’il faisait juste son boulot, incident clos, mais une tension palpable s’est installée dans la cabine.

A la fin du contrôle, mon voisin a apostrophé l’hôtesse en réitérant le reproche de discrimination de la part du policier Français.

Celle-ci a présenté ses plates excuses, mais est restée ferme sur l’intention : nous étions sur « un vol à risque », le flic faisait son travail de « profiler », il était là pour nous protéger tous, avec la bénédiction d’Air France. Mon voisin a fait la grimace, moi je me suis dit que décidément, non, l’Algérie n’était pas une destination comme les autres. Mais je suis blonde, je n’ai pas eu de question sur les motifs de mon voyage et j’étais malgré tout rassurée qu’un flic veille sur nous.

Tout est revenu dans l’ordre, le sourire des hôtesses et les chocolats largement distribués ont fait redescendre la tension, je n’ai pas vu passer les deux heures de vol, concentrée sur la révision de mes notes pour mon intervention du lendemain.

Quand le pilote a annoncé la descente, j’ai plongé vers le hublot et mon cœur a bondi en apercevant cette terre montagneuse bordée du bleu de la méditerranée, illuminée de soleil, une terre verte qui semble superbement ignorer la grisaille de nos hivers parisiens.

Sortie de l’avion, j’ai passé le barrage de police à la vitesse de l’éclair, il faut dire que nous n’étions que deux dans la file des passeports étrangers, ce qui n’a pas empêché le policier de me regarder avec un air suspicieux et malgré mon couteux visa dument tamponné, de me demander la raison de mon voyage.

Je lui ai répondu d’un air outragé, un peu comme tout à l’heure le jeune homme barbu au flic français … Je me suis sentie humiliée, mais ou va donc se loger le sentiment de discrimination ? Je vous le demande un peu …

Samir m’attendait à la sortie, je l’ai trouvé incroyablement jeune, 30 ans à tout casser, je me suis dit que c’était la relève universitaire et que c’était décidément bon signe. Il s’est amusé de ma surprise et nous nous sommes installés à la cafétéria en attendant l’arrivée de Ghaleb Bencheikh, j’allais donc partager le trajet avec le grand maitre de cérémonie du colloque.

Fils de l’ancien recteur de la mosquée de Paris, docteur ès Sciences et Islamologue érudit, président de la branche française de la Conférence mondiale des religions pour la paix, animateur de l’émission Islam sur France TV depuis presque 20 ans, producteur de l’émission Questions d’Islam sur France Culture, et depuis décembre, président de la Fondation de l’Islam de France succédant à Jean Pierre Chevènement, Ghaleb est un musulman, une personnalité publique, et un intellectuel hors du commun.

Pour moi, il est aussi un des passeurs de la pensée de mon père, l’un des plus éclairés et des plus courageux. J’ai tout de suite reconnu sa grande silhouette dégingandée se diriger vers nous, nous nous sommes salués chaleureusement, j’étais heureuse de le revoir.

Ghaleb possède cette nonchalance orientale qui vous arrache du présent. Tout son être semble être passé au tamis d’une caméra ralentie, ses gestes sont amples et flous, il parle d’une voix veloutée de conteur, il s’exprime par images, métaphores et citations, il impose son rythme lent, envoutant, d’une clarté hypnotique.

Dans le monde de la communication moderne où tout n’est que précipité, Ghaleb est un véritable OVNI. Il fait partie de ces rares personnes qui ont la capacité de vous capter par la lenteur maitrisée de leur débit plutôt que par les mots assénés en rafale et ce talent lui donne une maitrise parfaite des débats. Il me semble qu’à ce jour, il est un des rares à avoir mouché Tarik Ramadan et il est le seul musulman que je connaisse à s’être clairement prononcé sur le port du voile. A mes yeux, il est un héros.

Nous sommes sortis sur le parking de l’aéroport Houari Boumediene sous un soleil printanier, j’ai humé à plein poumons cet air doux de la méditerranée, et nous avons pris la route de Tizi Ouzou, située à 1h30 à l’est de la capitale.

Comme pour ancrer mes souvenirs, je regardais chaque détail du paysage avec attention, les comparant avec mon précédant voyage qui datait déjà de plus de 7 ans.

Il m’a semblé que les constructions anarchiques avaient envahi les bords de l’autoroute, partout se dressaient des maisons inachevées, des murs de béton brut, des pylônes à nu hérissés de tiges d’acier, des chantiers abandonnés et aux abords de Tizi Ouzou, d’innombrables cités type HLM qui semblaient être sorties de terre comme des champignons sauvages. Et partout des décharges à ciel ouvert, provocations à tous les principes d’hygiène, de civisme et d’écologie.

J’ai questionné Ghaleb, frappée par la question de la laideur, comment un état pouvait-il permettre la prolifération d’un tel chaos urbain sur des terres agricoles ? Mais ou allait donc l’argent des immenses ressources naturelles de ce pays ?

Nous avons disserté, le parti unique, la chape de plomb, l’achat de la paix sociale, l’investissement dans l’éternel opium du peuple, les mosquées et les stades, il y avait tant à dire…

Nous sommes arrivés à Tizi Ouzou dans le meilleur hôtel de la ville, j’ai pris possession de « ma suite », une grande chambre peinte du sol au plafond en vert pomme, couleur catastrophique au teint, dont les fenêtres ornées de lourdes teintures en polyester chamarré ouvraient sur un immeuble de béton évidemment inachevé. La douche marchait, le lit était bon, le wifi ne me donnait pas accès à Netflix mais supportait la réception de mes mails. Tizi Ouzou semblait définitivement fâchée avec le concept du beau, mais j’avais décidé de ne pas m’en soucier, j’étais heureuse d’être là.

J’ai appelé mon oncle Ameur, le frère cadet de mon père, le plus jeune de la fratrie Arkoun. Ameur habite le village de Chamlal à quelques kilomètres de Tizi Ouzou. J’ai retrouvé avec émotion ma tante Ghenima et mon jeune cousin Mohammed, homonyme de mon père. Les voir me précipite dans le passé, mon enfance, ce qui aurait pu être mais n’a jamais été.  J’ai mangé le couscous de ma tante goulument, comme le font les enfants quand on leur prépare avec amour leur plat préféré. Je me suis enivrée de ce met délicieusement régressif, je les ai quittés repue, on se retrouvait le lendemain au colloque.

Et j’ai admiré le couché de soleil sur le Djurdjura. Ici, si l’état est fâché avec la beauté, pas la nature.

La Wilaya de Tizi Ouzou avait bien fait les choses. Le grand amphithéâtre avait été entièrement réservé pour deux jours, la presse locale et nationale était conviée à l’événement, nous avons été accueillis avec un impressionnant cérémonial et j’ai pris connaissance des autres conférenciers dans le salon officiel du Wali dont les tables étaient recouvertes d’une profusion de pâtisseries orientales. Le zèle protocolaire des officiels Algériens m’a un peu prise de court. Le chapelet de discours de bienvenue de chaque président d’association et la position debout instable coincée contre mon strapontin pour écouter l’interminable hymne algérien ont été un peu long. Mais le discours inaugural de Ghaleb a fait taire mes doutes, le colloque serait un succès. Et il le fut.

Je ne vais pas revenir sur tout ce qui s’est dit pendant ces deux jours, il y a de nombreuses vidéos sur Youtube, et les actes seront écrits.

Je retiens la richesse des échanges, l’insatiable curiosité des auditeurs, la diversité des témoignages, et cette spontanéité du public, un public aussi indiscipliné qu’enthousiaste qui m’a fait penser à une classe privée de professeurs depuis trop longtemps.

J’ai été surprise de découvrir encore de nouveaux témoins de la vie de mon père qui étaient restés dans l’ombre, en particulier sa longue amitié avec l’anthropologue Tassadite Yacine, à la fois élève, amie, confidente et collègue, avec laquelle il avait partagé de nombreuses années de complicité intellectuelle autour de leur racine commune, la Kabylie.

Je retiens l’intervention dérangeante d’un représentant des Oulémas algériens tentant de justifier un affront fait à mon père en 1986, intervention habilement gérée par Ghaleb, ce qui n’a pas empêché le digne gardien du temple de filer à l’anglaise en plein colloque avec un air outragé, mais détail oh combien croustillant, avec mon livre sous le bras.

Je retiens l’émotion de mon oncle Ameur, touché par cette reconnaissance tant attendue de son frère adoré dans son propre pays.

Je retiens aussi les nombreuses démonstrations d’affection à mon égard, la fierté de poser à mes côtés, comme si la lumière de mon père irradiait sur toute ma personne, et aussi les attentions. Cette fois ci un monsieur artisan bijoutier qui est venu vers moi et m’a mis dans les mains une petite boite contenant une Tafust,  la fameuse main de Fatma sensée écarter le mauvais œil, le troisième talisman de ma collection de bijoux kabyles.

C’est très difficile de résister à un assaut de chaleureuse attention, par ce qu’il vous envahit comme un fluide bienfaisant, c’est un shoot de bonheur à l’état pur. J’y suis particulièrement sensible dans la mesure où j’ai passé la majeure partie de ma vie à me construire en dehors de ma généalogie familiale algérienne. Cette partie de moi-même, je ne la voyais pas, ou je ne voulais pas la voir. C’est après la disparition de mon père que j’ai pris ma place, mon livre a donné corps à cette histoire que j’ai reconstituée, il m’a permis de rentrer dans cette chaine de transmission temporairement suspendue.

Et pendant ce dernier week end de janvier 2018, une réalité s’est imposée : j’aimais l’Algérie, ce pays me faisait de bien…

Le lundi matin, nous avons repris la route d’Alger avec Ghaleb, lui à destination d’une émission de radio, moi pour une visite d’Alger avec mon ami Mohamed Bahli, journaliste et écrivain qui m’avait beaucoup aidé dans les recherches documentaires de mon livre.

D’épais nuages étaient tombés sur Tizi Ouzou, donnant au paysage un air de fin du monde enseveli sous une cendre volcanique. La succession des constructions inachevées, les voitures couvertes de poussière, les embouteillages incessants dus au check-points aussi innombrables que sans objet, tout ce que je contemplais par la vitre donnait raison aux plus sombres projections fatalistes sur ce pays.

Mais à l’approche de la capitale, les nuages ont soudain disparu pour faire place à un soleil éblouissant, et j’ai retrouvé ce sentiment d’une harmonie inattendue qui m’avait tant frappée lors de mon premier voyage.

Rétrospectivement, c’est ce moment qui m’apparaît prémonitoire de cette tempête de liberté qui s’est levée sur le pays.

La ville blanche accrochée sur ses collines, le bleu azur de la Méditerranée entraperçu entre deux ruelles, les jardins luxuriants d’Eucalyptus géants et de palmiers où l’on voudrait flâner, l’alternance majestueuse d’immeubles art déco ou Haussmanniens autour d’édifices mauresques, le charme tortueux de la casbah, les odeurs d’épices et de pain de semoule qui réveillent les papilles, c’est de cette beauté tissée de références multiples dont j’avais envie de parler.

Ma promenade dans Alger fut trop rapide. J’aurais voulu flâner dans les jardins, faire un vœux dans la medersa et m’assoir avec les femmes autour d’un thé, contempler la mer sur une terrasse de la Casbah, me perdre dans ses ruelles, dans les vieux musées de la ville haute, et m’enivrer de ces irrésistibles gourmandises de miel et d’amandes auxquelles je ne sais pas résister.

Mohamed Bahli m’a parlé de sa ville natale, Biskra, du désert et de ses oasis, de Tamanrasset, du Hoggard. Il ne cessait de me répéter, il faut que tu reviennes, il y a tant de belles choses à voir dans ce pays.

Je me suis mise à rêver du sud. La transsaharienne qui mène à l’incroyable massif du Hoggard, le refuge de Charles de Foucauld, l’ermite du désert. J’ai repensé à Louis Massignon, son fervent disciple, un des maitres de mon père, infatigable voyageur, personnalité aux multiples facettes dont la vie est une incroyable épopée romanesque. Tous ceux qui ont aimé cette terre et qui ont su si bien en parler ont disparu. Entre la France et l’Algérie, depuis 60 ans, il n’y a plus que le bleu de la méditerranée, le silence, et un vide qui ne demande aujourd’hui qu’à être comblé.

Mohamed m’a conduit à l’aéroport, j’ai pu contempler la nouvelle mosquée de la ville, édifice gigantesque et somptueusement moderne dans lequel l’état a englouti d’innombrables millions de la rente pétrolière.

Il m’a semblé que l’édifice pouvait accueillir le pays tout entier, la dévotion ostentatoire de l’état est décidément une stratégie politique. Hélas…

Nous nous sommes quittés précipitamment sur le parking de l’aéroport, il a sorti de son coffre cette boite de délicieuses dates du désert qu’il m’a remis comme un trésor, il m’a regardée et m’a dit d’un ton sans appel  : « il faut que tu reviennes ».

Je suis remontée dans l’avion pour Paris avec une conviction. Mon histoire avec ce pays ne faisait que commencer.

Share Button

10 réflexions sur “Retour en Algérie

  1. Quelle belle histoire.
    Ma mère était pied-noire et toute mon enfance a été bercée avec ses récits d’Algerie. Elle n’y est jamais retournée et le vide laissé dans sa vie n’a jamais été comblé. J’ai retrouvé dans votre récit toutes les odeurs, les couleurs, les emotions qu’elle partageait avec nous. Des récits si détaillés que j’ai toujours eu un attachement pour l’Algerie que pourtant je ne connais pas. Il est peut-être temps d’y remédier.
    Je suis aussi dans le bijou et le voyage – toutes les relations importantes d’une vie sont marquées par un bijou.
    Merci encore de ce beau partage. Isabelle

  2. Beaucoup d’émotion toujours pour moi ces récits sur l’Algerie… Mes grands parents, ma mère, mes oncles, mes tantes n’ont jamais cessé d’en parler… Lorsqu’ils disaient « … comme là bas… », il y avait toujours tellement de bonheur et de force qui brillaient dans yeux… Bien sûr aussi la nostalgie de ce « là bas … » jamais retrouvé…
    Rien n’était plus beau pour eux. J’ai grandi aussi avec ses paysages, ses odeurs, ses couleurs …
    Merci pour ce beau partage .

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.